L'association Patrimoine de La Roche-de-Rame a organisé , soit à La Roche-de-Rame, soit à Briançon des reconstitutions de la lessive à l'ancienne: la  bua


LA LESSIVE A L'ANCIENNE


Claude Casenave


La lessive a toujours été pour les femmes, à la fois une lourde charge et, en même temps une activité sociale, occasion de rencontres et de commentaires sur l’actualité de la communauté ! Le lavoir est un endroit stratégique du village....

La première mention de la lessive dans la littérature se trouve dans l’Odyssée d’Homère : Nausicaa, dans le chant VI se rend au bord du fleuve où elle rencontre Ulysse naufragé : « Les femmes avaient pris le linge sur le char et, le portant à bras  dans les trous de l’eau sombre, rivalisaient à qui mieux mieux pour le fouler. On lava, on rinça tout ce linge sali ; on l’étendit en ligne aux endroits de la grève où le flot quelquefois venait battre le bord et lavait le gravier.»



I - LE LAVOIR

L’endroit où se lave le linge pouvait être simplement le bord de la rivière, sans aménagement. C’est encore le cas en Afrique ( ici au bord du Niger ).
Plus souvent c’est un lavoir utilisant soit l’eau de la rivière, soit celle d’une fontaine. Sur la Seine, sur la Loire, on a construit au XIXème et au XXème siècles des bateaux-lavoirs.





II -LES ETAPES DE LA LESSIVE



La lessive à la cendre (la bua dans les pays de langue d’oc, la buée en Touraine et Berry, la bugée en Poitou) était autrefois  communément pratiquée deux fois par an, au printemps, avant les Rameaux, et à l’automne, vers la Toussaint. C’était un évènement important de la vie du village, un acte social, qui rassemblait les femmes et donnait lieu à une vraie fête.
La quantité de linge à laver était évidemment considérable et la bua se déroulait sur au moins trois jours.
Elle se déroulait en trois étapes successives:


1 - Le trempage :

Le linge était d’abord trié à la maison puis transporté jusqu’au lavoir. Là le linge était sommairement décrassé dans l’eau pour en enlever les taches peu adhérentes ou solubles. Les saletés les plus tenaces étaient frottées à la brosse sur une planche à laver striée, éventuellement en ajoutant un peu de savon de Marseille.



2 - Le lessivage : s’opérait en deux temps :

L’encuvage : on plaçait le linge dans un grand cuvier en bois, cerclé de métal, et posé sur un trépied. Ce grand cuvier pouvait contenir jusqu’à 400 litres d’eau et il était muni d’une bonde à sa base. On y plaçait le linge à laver : draps, linge de table, torchons, en les tassant au maximum. Puis on les recouvrait d’une toile de chanvre, le «charrier», sur laquelle on déposait une couche de 5 à 10 cm de cendre de bois. Les coins du charrier étaient relevés pour emprisonner les cendres.
Le coulage : puis on versait sur le tout une soixantaine de litres d’eau chaude (mais surtout pas bouillante). L’eau percolait à travers les cendres et le linge, et arrivée à la base sortait par la bonde et était dirigée par un tuyau vers un chaudron où l’on chauffait l’eau. Quand cette eau de lessive était chaude, on la recueillait avec le coule-lessive, sorte de godet à long manche, et on la déversait à nouveau sur le charrier.

L’opération était renouvelée pendant des heures, en augmentant progressivement la température de l’eau jusqu’à ce qu’elle soit bouillante.
Puis on laissait macérer toute la nuit.
Le lendemain le linge froid était sorti du cuvier à l’aide d’une pince en bois à longues branches.
Avec le lessif froid on lavait la couleur (vêtements de travail)
Les cendres lessivées étaient récupérées pour le jardin pour servir d’engrais (le terme potasse vient de l’anglais «pot ash» : cendre de pot ).


3 - Le rinçage du linge s’effectuait au lavoir.
 Les lavandières, après avoir transporté le lourd linge mouillé dans une brouette, s’installaient, à genoux sur des coussins de paille, dans une boîte en bois ouverte à l’arrière et formant à l’avant un plan incliné : le carosse ou cabasson. Elles laissaient le linge tenu à bout de bras flotter dans l’eau, puis, le ramenant vers elles, le frottaient, le battaient avec un battoir en bois, le tordaient pour éliminer toute la lessive. Le battoir pouvait être remplacé par une brosse en chiendent.  Quand le lavoir en était équipé, un plan incliné en pierre permettait de travailler debout.
Le linge était ensuite étendu au soleil dans un champ, tourné et retourné et arrosé pour le blanchir parfaitement. Ensuite il était séché, soit à plat pour les grandes pièces, soit étendu sur une corde.
Cette méthode de lavage a été pratiquée jusqu’à la première guerre mondiale. Elle a ensuite été supplantée par la lessiveuse à champignon, qui réalisait automatiquement le coulage et qui était beaucoup moins lourde que le cuveau en bois.
Puis sont arrivées les machines à laver .....



Comment ça marche ?

Les cendres contiennent de la potasse (KOH).  Au contact d’acides gras se produit une réaction de saponification, qui aboutit à la formation de glycérol et surtout d’ions carboxylate de Potassium qui constituent un savon .
 Dans cette réaction les acides gras sont essentiellement ceux provenant du sébum de la peau déposé sur le linge.
Autrement dit pour que le linge soit bien lavé, il faut d’abord qu’il soit bien sale !
Les molécules de savon, par leur queue lipophile se fixent aux salissures grasses et les enveloppent, les séparant des fibres du linge et les empêchant de se redéposer. Le rinçage à l’eau peut alors éliminer le complexe savon - salissure.

Pourquoi pas d’eau bouillante au début ?

Si l’on utilise de l’eau bouillante dès le début du coulage, avant que le savon ait pu se former et détacher les salissures de leur support, on risque de coaguler les protéines contenues dans ces salissures et de les fixer alors de façon non réversible aux fibres du linge.



De la cendre de bois ......
mais pas n’importe quel bois : surtout pas de chêne ou de châtaignier qui auraient coloré le linge !
C’est pour cela qu’il ne fallait pas jeter les épluchures de châtaignes dans l’âtre.

«Où vous a t-on élevés pour que vous ignoriez qu’une pelure de châtaigne, un brandon de chêne mal carbonisé, peuvent tacher toute une lessive (Colette, Prisons et paradis.)


Lavoir (Romainmoûtier en Suisse)
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Lavoir (Les Mées - Alpes de Haute Provence)
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La lessive au bord du Niger (Bourem - Mali)
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La bua à La Roche-de-Rame: Mise en place du charrier et des cendres
La bua à La Roche-de-Rame: Mise en place du charrier et des cendres
La bua à La Roche-de-Rame: le trempage
La bua à La Roche-de-Rame: le trempage