La mulette des cygnes

Christophe Perrier, février 2015.

 

Quelle ne fut pas ma surprise - en faisant une recherche sur internet, avec comme sujet « mollusques des Hautes-Alpes » - de tomber, sur le site « patrimoine-larochederame.fr », sur une photo de coquilles de moules ? Des moules dans le lac de La Roche-de-Rame ? Si il était certain que les moules peuvent se trouver, accompagnées de leur garniture de frites, au bar-restaurant du lac, nous ne parlions pas de la même chose. Alors, de quoi parle-t-on ?

La moule découverte dans le lac est d’abord une espèce strictement d’eau douce, à la différence des moules consommées dites d’Espagne ou de bouchot, qui appartiennent à l’espèce Mytilus edulis (côtes bretonnes, nord de l’Europe) ou Mytilus galloprovincialis (côtes méditerranéennes, espagnoles, portugaises et atlantiques), et se rangent dans la famille des Mytillidées. Les moules marines peuvent aussi séjourner en eau douce, le plus grand bassin de production en Europe étant l’estuaire de l’Escaut,  aux Pays-Bas.

Cette moule d’eau douce, l’une des dix espèces françaises, est la mulette des cygnes, Anodonta cygnea (Linnæus 1758), aussi appelé anodonte des cygnes : Anodonte signifiant « dépourvue de dents », car la charnière (la jonction entre les deux valves de la coquille) est fine, sans dents ni lamelles ; cygnea, des cygnes, fait possiblement référence au fait qu’elle est appréciée des oiseaux ou que les moules se déplacent en étirant leur « pied », pouvant alors faire penser à un coup de cygne. Dans la classification du règne animal, on la classe parmi les mollusques lamellibranches de la famille des Unionidées.

On la rencontre dans le nord de l’Europe, de  l’Europe centrale jusqu’en Grèce, à l’ouest de la Russie, l’Ukraine, le nord de la Turquie et le Caucase, où elle vit sur la vase et les gravières de fond d’étendues d’eau stagnante ou à faible courant. En France, d’après l’Inventaire national du patrimoine naturel mené par le Muséum national d’Histoire Naturel de Paris, cette espèce n’est présente dans le sud-est du pays que dans le département des Bouches-du-Rhône. Voilà donc une découverte !!!  A  part le lac de la Roche-de-Rame, elle m’a été signalée dans le lac de Siguret (Saint-André-d’Embrun), le lac de Serre-Ponçon et dans le sud du département (Michel Moullec, ONEMA, communication personnelle).

 

La coquille mesure 6-12 cm sur 12-20 cm de long et 3-6 cm de hauteur, de couleur jaunâtre ou brun verdâtre, peu épaisse. C’est un animal hermaphrodite qui peut vivre 60 ou 70 ans, avec probablement des centenaires. Les œufs, pouvant atteindre le nombre de 50 000, éclosent entre les branchies et sont expulsés par les siphons. Les jeunes larves, ou « glochidies », sont avalées par les poissons et se fixent sur leurs branchies, grâce à leurs valves munies de crochets. Elles vont alors s’enkyster et se transformer, après plusieurs mois, en jeunes moules qui se détacheront du poisson et tomberont au fond. Les hôtes possibles pour l’anodonte des cygnes sont la truite (Salmo trutta Linnaeus, 1758), la perche commune (Perca fluviatilis Linnaeus, 1758), la vandoise (Leuciscus leuciscus Linnaeus, 1758), le sandre (Sander lucioperca Linnaeus, 1758) et l’épinoche (Gasterosteus aculeatus Linnaeus, 1758).

Il est fort possible que la présence de cette moule à La-Roche-de-Rame soit due à l’empoissonnement du lac.

C’est une espèce menacée par la disparition de ces habitats, la régulation des cours d’eau et les pollutions. La présence de ce mollusque dans le lac de La Roche-de-Rame est un signe de la bonne qualité de son eau ! En effet, cette moule se nourrit des particules en suspension dans l’eau, en aspirant jusqu’à 50 l d’eau par jour, et participe ainsi à sa purification, filtrant jusqu’à 95% de ces particules.

 

D’autres mollusques bivalves sont présents dans le département, en particulier la moule zébrée, Dreissena polymorpha (Pallas, 1771), une espèce invasive originaire de Russie, qui colonise le lac de Serre-Ponçon, ou les pisidies (des genres Pisidium ou Euglesia), petits bivalves ne dépassant pas 5 mm de largeur et que l’on rencontre généralement dans les lacs et zones humides de moyennes altitudes (jusqu’à 2100 m au col du Lautaret).

 

Trouvée par des enfants dans le lac de la Roche-de-Rame


Avril 2016 : une nouvelle espèce de moule a été trouvée dans le lac de Serre-Ponçon