PAROLES D’ANCIENS DE LA ROCHE-DE-RAME
recueillies par Colette Duc
En hiver 1996-1997, nous avions oublié qu’hiver rimait avec neige. C’est alors que j’ai pu, avec quelques rochons nés entre 1912 et 1932, « faire remonter », les souvenirs !.
Les jeux
Le jeudi et le soir après l’école, les écoliers se réunissaient à la descente des Crozes pour faire du ski ou de la luge.
Les luges
Elles étaient en bois munies de patins métalliques. Leur longueur étaient de 60 à 80 cm. Les luges rendaient la route encore plus glissante et les anciens « nous passaient après ! ».
Les petits du Serre descendaient parfois en luge à l’école. En arrivant à la Chapelette (pont de la Fare), ils posaient les luges dans le jardin de la maison Gignoux. La route qui passe
maintenant contre la maison Lelièvre n’existait pas. Quand on descendait le vieux chemin de Coutin parfois on ne pouvait pas s’arrêter et nous atterrissions alors dans le torrent. Parfois, les
peupliers du torrent nous retenaient. A Pra-Reboul, nous allions sur la côte du moulin de Saint-Crépin ou derrière la poste de Saint-Crépin. Certain conduisait la luge à l’aide d’un patin fixé à
une chaussure (Lulu Duc). A Géro, on lugeait le long du torrent de l’Ascension et derrière la maison de Baptiste Arduin.
Le bob
« Le grand jeu », celui qui donnait le frisson, était la descente des bords du torrent et de la Frairie en bob. Le bob se composait de deux luges reliées par un axe vertical. La
première luge était plus petite que la seconde et pouvait tourner avec un volant. Elle avait des patins plus étroits et plus acérés car elle servait de guide pour l’ensemble. Celui qui était
assis à l’arrière avait la responsabilité du freinage. Le frein était constitué de deux tiges métalliques qui raclaient le sol et dont l’axe était sous la luge. On ne freinait jamais en cours de
route. Ce frein servait seulement à arrêter la machine infernale ! Chacun tenait les pieds de son suivant, seul celui de devant avait les pieds posés sur la luge de direction. Le bob claquait sur
la glace des chemins. On entendait des cla cla cla qui ajoutaient plaisir et peur. La route était gelée. Le chasse neige ne raclait pas et il restait sur la route une couche de neige durcie. Pour
améliorer « la glisse », on arrosait le soir en prenant de l’eau au torrent avec des seaux. On faisait aussi déborder le canal au-dessus de Farina. Cette pratique était désapprouvée par
les riverains qui répandaient des cendres. Laurent A. attelait son chien Finaud à la montée. Dans les virages il fallait « semer » les filles qu’on faisait monter à
l’arrière.
Les patins
Lorsque le lac était gelé, on patinait. Les patins étaient faits de lames métalliques fixées aux semelles de nos chaussures de cuir ou sous nos galoches de bois. Nos patins étaient « faits
maison ». Seul « le père Noble » en avait de beaux qui avaient été achetés. Nous le regardions avec envie. Les nôtres étaient fixées à nos souliers avec une clef. Comme
les souliers étaient cloutés, clous têtes carrées au talon, clous tête arrondies sous la semelle, on glissait partout. Sur le lac, on jouait au hockey. Les crosses étaient des bâtons recourbés à
une extrémité et le palet une boîte de conserve. Lorsque le froid était vif, l’air libéré par l’eau sous la glace faisait claquer cette glace et nous avions peur. Nous n’allions jamais près du
peuplier où la glace était fine puisque c’était la source du lac. Les parents n’aimaient pas que nous allions sur le lac. Nous allions faire du patin après le catéchisme. A Pra-Reboul, derrière
la ligne de chemin de fer, il y avait une source qui formait un étang qui gelait. C’était bien pour nos galoches cloutées. A Montdauphin, Eygliers-gare maintenant, les gamins jouaient au hockey
sur la route nationale. Ils déplaçaient les buts lorsqu’une voiture passait. Il en passait peut !
Le ski
Bien qu’on nous occupait beaucoup à la maison, nous avions le dimanche pour faire du ski. Certains d’entre nous se servaient de douves de tonneaux. Au milieu, des lanières de cuir tenaient le
pied. Les skis étaient faits de planches de frêne mises dans l’eau chaude pendant 48 heures, pliées avec une presse pour former la spatule. La piste la plus fréquentée était celle des
Crozes, aux Gillis.
A Pra-Reboul on skiait dans la côte de la Balmette qui était sans arbres. Les vignes de ce hameau ne permettaient pas de faire du ski.
Les hommes avaient des occupations plus sérieuses.
Au début du siècle, en effet, la glace du lac était exploitée pour alimenter les glacières de Marseille. Les hommes du village, Emile Massieye, Eugène Queyras, Léon Duc et d’autres encore
taillaient des blocs de glace avec une scie « passe-partout ». Ces morceaux mis dans des sacs de jute étaient transportés, sur les traîneaux traînés par les mules ou les chevaux, à la
gare de La Roche. Les wagons chargés arrivaient le lendemain à Marseille.
La société des Glacières de Marseille utilisait cette glace pour conserver la viande.
Il fallait aussi « déneiger ».
Pour ouvrir le chemin aux écoliers, Félix de Coutin partait avec son cheval auquel il accrochait le chasse-neige, descendait par la Frairie et par le ruisseau. Pour remonter il mettait son chasse
neige de chant. Il redescendait ensuite par le torrent. L’étrave était faite de deux planches de mélèze très épaisses et ferrées, l’écartement fixe était donné par une planche horizontale.
L’ouverture du chemin n’était pas large, entre 1 mètre et 1 mètre 50.
L’hiver, on ne sortait ni charrette ni tombereau. A Pra-Reboul, M. Poulillian déneigeait avec son cheval, quand il y avait vraiment beaucoup de neige et que les toits avaient déchargé. Sur la
route nationale et en particulier le jour où le chasse-neige fut métallique, il fallut 5 à 6 chevaux placés les uns derrière les autres pour le tirer. Le premier cheval n’était pas attelé mais
monté par un cavalier et son rôle était de faire la trace. Il allait de l’Abbaye à Pra Reboul. Puis il était remisé au monument, au Syndicat, jusqu’à l’hiver suivant.
Lorsque le chasse-neige descendait des Traverses, on l’entendait de la Roche. Les hommes criaient pour commander les chevaux, l’étrave raclait le sol.
Enfin, quand il y avait trop de neige sur la voie ferrée, le P.L.M. (Paris-Lyon-Marseille) faisait appel aux hommes du village pour dégager la voie, les aiguillages, le passage à niveau, la gare.
Le matin, les hommes se rassemblaient à la gare avec leur pelle, leur « biasse » sans oublier le morceau de lard pour graisser la pelle. Ils devaient dégager le rail de chaque côté
d’une largeur de pelle pour que la locomotive ne patine pas. Les équipes des plus jeunes allaient plus loin, les anciens dégageaient en face du village. C’était pour chaque famille une petite
source de revenus en plus. Cette activité saisonnière a duré jusqu’en 1947. Au mois de Mars, lorsque la neige de printemps tombait, les hommes du village montaient au Lauzet pour faire tomber la
neige des toits afin « de soulager » les charpentes.
Et, en 1997, l’hiver à la neige d’antan était donc revenu et tous ces souvenirs aussi.