Cette activité paysanne qui intrigue l’association Patrimoine de la Roche-de-Rame en cette année 2015, remonte bien au-delà dans le temps.
Déjà dans la Bible, (Gen. 6,14 et Ex2,3 et Esaïe 34,9), la poix est évoquée.
La fabrication très ancienne de la poix a été décrite par Pline l’Ancien (-79/+23 JC).
Stabon, géographe grec, 30 ans avant J.C., affirmait que les Gaulois ne pouvaient se priver de débouchés économiques des plaines environnantes. Ils vendaient des matières premières, poix, cire, miel, bois flotté.
En 674, les Bysantins, lors du siège de Constantinople par les Arabes, incendiaient les envahisseurs avec de la poix mélangée au soufre et au
salpêtre , c'était "le feu grégois". Les flammèches se collaient à la cuirasse des assaillants.
Dans « Histoire du diocèse d’Embrun, naturelle, ecclésiastique et civile » de Bachelier et A. Albert paru en 1783 : « Les habitants de la Roche s’occupent beaucoup de faire de la poix, qui fait la matière de leur principal commerce de même que le bois".
En 1848, le Père Pascallon curé de "la Roche en Embrunois" écrit : « Les hommes passaient une grande partie de leur temps à faire de la poix. Ils en faisaient une quantité extraordinaire et l’expédiaient de tous les côtés. La fabrication de la poix a été la cause unique de la destruction des forêts de pins qui se trouvaient très épaisses dans les côtes qui avoisinent aujourd'hui les bords de la plaine. Le bas de ces côtes est complètement rasé, on y découvre à présent aucun vestige de ces antiques forêts, on n'y aperçoit seulement quelques restes des fourneaux où l'on faisait de la poix. "
La résine et la poix.
La résine peut être recueillie par gommage, blessure creusée dans le tronc de l’arbre comme dans les Landes. Elle est de couleur claire. Cette résine, lorsqu’elle est chauffée, libère de l’essence de térébenthine et ce qu’il reste est de la colophane qui en chauffant devient noire et se transforme : c’est de la poix obtenue.
Les fours à poix
En Briançonnais, la poix pouvait être obtenue en faisant chauffer modérément de la résine recueillie en saignant les pins, où en faisant chauffer des branches de pins dans des fours à poix.
En France on connait deux types de fours :
- des fours double cuves dans lesquelles les bûchettes sont enfermées dans une jarre chauffée extérieurement par un brasier situé dans un puits creusé dans le sol.
- des fours simples cuves comme ceux que nous avons découverts à la Roche. Des morceaux de troncs de résineux étaient placés verticalement autour d’un gros pieu central. Le four rempli, le pieu était ôté pour créer une cheminée. On enflammait les bois et on recouvrait le dessus du four de pierres et de terre. Le bois libérait alors des substances organiques qui se condensaient sur les parois. Il s'agissait de chauffer les branches de pins sylvestre, pour éviter qu'elles s'enflamment, le feu était allumé sur la partie sommitale du four, séparé des branches par des pierres et de la terre limitant ainsi la quantité d'oxygène. Cette cuisson"à l'étouffée" durait trois à quatre jours et la température ne montait pas au-delà de 300° C. Les habitations (cabanes) décelées près du four témoigneraient d'une surveillance pendant l'opération. Cette technique semble proche de celle du charbon de bois.
La poix était vendue aux apothicaires car bactéricide, aux cordonniers pour raidir les fils de cuir avant de les passer dans l’alène, et plus régionalement, à la Marine Royale pour calfater les planches des coques de bateaux et pour enduire les cordages.
Les fours à poix de la Roche-de-Rame
Le surnom de Pégous donné aux villageois de la Roche, en lien avec cette activité, est attesté par voix orale, mais seul ce surnom perdure car nous n’avons aucune oralité de cette activité parmi les anciens.
A ce jour, nous avons découvert cinq cavités de forme circulaire, plus larges à la base, de 1m30 de diamètre en haut pour une hauteur moyenne de 1.60m. Contrairement aux fours à poix du Haut-Forest, pays de St Bonnet le Château et du Jura, nous n’avons trouvé aucun système d’écoulement de la poix dans le fond du trou. Ces cavités sont certainement des fours à poix. Mais comment recueillaient-t-ils la poix ? On trouve chez des anciens du village de larges chaudrons, peut-on penser que les branches y étaient mises verticalement et à la fin de la combustion, la poix noire liquide se serait déposée au fond du chaudron ?
Depuis plusieurs années, la société Géologique et Minière du Briançonnais s’est intéressée à cette activité locale.
Localement
On trouve également ces fours dans le Guillestrois : Archives communales Vallée du Queyras E 409 "Ordonnance de l’Intendant du Dauphiné du 21 octobre 1743 interdisant l’utilisation de la poix pour marquer les bestiaux".
A C Saint-Véran 3 E 258 : Délibération communale du novembre 1757 : "Montbardon possède un four à poix dans la forêt de la Fustine qui est propriété de Saint-Véran. Deux députés de St Véran ont remarqué que des arbres à proximité du four avaient été dernièrement travaillés. »
Tout éclaircissement de votre part sera le bienvenu !
Sources : www.sgmb.fr
Elsa Giraud : elsa.giraud@aliceadsl.fr
Société d’Etudes des Hautes-Alpes seha.fr
Utilisation de la Poix pour le Calfatage de Bateaux en Bois
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-- LE CALFATAGE DES BATEAUX.
Il y a 7000 ans, les marins protégeaient déjà la coque de leurs bateaux. L’analyse des substances imperméabilisantes employées a révélé que les mêmes techniques et les mêmes enduits ont été utilisés des siècles durant.
Que se soit des barques, des canoës, des pirogues, des chaloupes ou des navires, qu’ils soient faits de bois, de roseaux, de tiges de feuilles de palmier ou d’écorces d’arbres, toutes les embarcations doivent être rendues parfaitement étanches par le CALFATAGE qu’accomplissent les CALFATS.
Calfater et Calfeutrer, deux verbes synonymes qui indiquent pratiquement la même action mais dans deux univers distincts : boucher, obstruer des interstices ; calfater s’applique dans le milieu flottant maritime ; calfeutrer dans les milieux autres que le maritime.
Les calfats formaient une véritable corporation (aujourd’hui on dirait : syndicat) et bénéficiaient d’ailleurs certains avantages sur les charpentiers de marine ; ils ne faisaient que 8 heures de travail alors que les charpentiers en faisaient 13 heures, mais devaient exécuter 30 à 36 pieds (environ dix à douze mètres) de ‘’couture’’ ; ils étaient également mieux payés. Ils ne travaillaient pas pour un patron, mais d’un chantier naval à l’autre ; on allait les embaucher chez eux quand on en avait besoin. Les meilleurs calfats portaient le titre de ‘’Maîtres Calfats’’ ; ils dirigeaient le travail d’une équipe d’une vingtaine d’hommes.
La fabrication d’une coque en bois d’un bateau est faite de planches d’une certaine épaisseur appelées ‘’bordées’’ ; les bordées épousent la forme très arrondie et effilée que donnent les couples, les nervures, ossature de la future coque. Les planches de bordée ne peuvent être ajustées finement les unes aux autres ; des espaces de 15/20 mm maximum se créent entre elles ; qu’il faut boucher pour assurer l’étanchéité à l’eau de la coque ; c’est l’opération de calfatage. Le calfatage est nécessaire également pour un bateau en service lorsque une ‘’voie d’eau’’ se révèle ou au cours d’un carénage.
L’opération de calfatage consiste à insérer, à tasser ‘’à refus’’ dans les interstices (coutures) entre les planches de bordée à grands coups de maillet avec l’aide d’un fer une, deux, voire trois grosses ficelles d’étoupe. Corder l’étoupe en ’’fusées’’ de 4 à 5 brasses (environ 30 pieds soit 10 mètres) était le travail des ‘’p’tit gars’’, des mousses à partir de vieux cordages effilochés. Les mousses, gamins de 12 à 13 ans, étaient 3 ou 4 pour une équipe de 20 à 25 calfats. A titre indicatif, il fallait prés de 500 kg d’étoupe pour calfater un navire terre-neuvas armé pour la pêche.
Le pigoullier devait s’occuper de la pigouille, c'est-à-dire de la fusion du brai ; de la poix dans un grand chaudron sous lequel on entretenait un feu de copeaux et de débris de bois. Poix achetée en barils de bois de 60 à 80 kg ; deux catégories : le brai maigre pour les ponts des navires et le brai gras pour les coutures de la coque ; pour sortir la poix des barils en bois on la cassait avec des coins, à coups de marteau.
Lorsque les coutures sont garnies d’étoupe, on les mastique de poix bouillante, fondue à la pigouille, avec le guipon, sorte de pinceau rudimentaire à long manche ; l’excès de poix sur les coutures est gratté lorsqu’elle a durci.
Une donnée quantitative ; dans l’Ain pour la batellerie (bateaux naviguant sur les eaux intérieures : lacs, fleuves, rivières, canaux…) on abattait 60 000 arbres par an pour réaliser les planches et 15 000 arbres rien que pour fabriquer la poix !!!!
Le calfatage des coques s’est progressivement réduit avec d’abord le revêtement des coques par des feuilles de cuivre afin de les protéger et de les rendre moins vulnérables aux coups des boulets de canon, puis avec l’évolution de la métallurgie qui a amené les coques métalliques rivées puis soudées.
A ce jour, la fabrication de coques en bois est relativement rare : reconstitution de bateaux anciens, réparation et carénage de bateaux anciens ; les coques en métal ou en résine synthétique ne nécessitent plus de calfatage ; selon les besoins, la poix a été remplacée par le brai de pétrole, le goudron et par les différents mastics.
( Extrait d’un compte rendu intitulé : ‘’Recherche de liaisons entre les Forêts du Briançonnais, Arbres et Poix, et la Marine des XVII/ XVIII ème siècles / Colbert)