La plantation des arbres du lieu-dit « les Traverses »

Devant le nombre d’accidents occasionnés par les avalanches de pierres et de chutes de blocs, les EAUX ET FÔRETS ont, dans les années 1930, décidé de boiser la forte pente des Traverses.

D’où les délibérations suivantes :


ACTE ADMINISTRATIF : « Par devant Nous, Préfet des Hautes-Alpes, représenté par M. Maurin, Conseiller de Préfecture, ont comparu : MM. Baridon, maire de la commune de Freissinières et Jauffret, maire de la commune de Champcella, agissant tous deux en cette qualité et conformément aux trois délibérations de chacun des conseils municipaux de ces deux Communes en date du 15 mai 1921, 10 septembre 1922 et 5 juin 1923, approuvé par arrêté de M. le préfet des Hautes-Alpes, en date du 11 août 1923, statuant en Conseil de Préfecture, lesquelles délibérations demeurent annexées au présent acte, lesquels ont déclaré vendre sous toutes les garanties de fait et de droit à l’Etat français, pour le compte de l’administration des Eaux et Forêts les parcelles de terrains d’une contenance totale de CENT QUARANTE QUATRE hectares, VINGT CINQ ares, dont l’acquisition par l’Administration des Eaux et Forêts a été autorisée par décision de M. le Ministre de l’Agriculture en date du 10 décembre 1923 et dont la désignation suit :

TERRITOIRE DE FREISSINIERES

Section Numéros Lieux-dits Nature des parcelles Superficie

G 753 Côte de Corbières Pâture 26h 70a 00c

G 754 Les Traverses Pâture 112h 25a 00c

TERRITOIRE DE CHAMPCELLA

A Fond de Rame Pâture 5h 30a 00c

ORIGINE DE LA PROPRIETE

L’immeuble est d’origine communale et appartient aux communes venderesses depuis un temps immémorial. Le litige, d’origine inconnue, est tranché, en ce qui concerne les parcelles comprises dans la vente, par un accord entre les deux communes (C.M. du 5 juin 1923). Le partage du prix de vente est fait à raison de 8.000fr 00 à la commune de Freissinières et de 5.000fr.00 à la commune de Champcella.

« Seront ensuite vendus les terrains de la CÔTE DU PLAN. Ils sont constitués par un versant d’éboulis, à pente moyenne de 50 à 70%, à peu près ruiné par l’abus inconsidéré du pâturage au printemps et à l’automne. On y trouve que quelques rares touffes de gazon, des lavandes et des genévriers disséminés. La surface de cette parcelle était de 98h22a59c.»

Etat des lieux : La côte était tellement dénudée que les gens du hameau de Géro y faisaient paître leurs troupeaux de moutons, les laissant pour la journée et allant les rechercher le soir. Le sol était pourtant pauvre, constitué de calcaires dolomitiques du trias moyen et d’éboulis. Ce sont ces éboulis suffisamment fins qui ont permis d’avoir un sol pouvant supporter les peuplements forestiers. De plus l’ensoleillement important avait pour effet un dessèchement prononcé de ces sols pendant la saison estivale, étant exposés Est et Sud.

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Vers 1925, en vue de cette plantation, les EAUX ET FORETS firent tracer des sentiers serpentant du bas vers le haut , en zigzag, que devraient emprunter plus tard les planteurs saisonniers. Robert Massièye du hameau de Géro, garde-coupe pour la commune de la Roche, dans un champ situé sous la place de ce hameau, fit un semis de graines de pins noirs d’Autriche et de pins Sylvestre sur une surface d’à peu près 220m2. Ce champ porte aujourd’hui le nom de « Champ de la Pépinière ». Romain Fourrat fit la même chose dans un terrain situé au Bonnaffés. Des plants apportés de Lyon par M. Bonthoux furent ajoutés à ces plantations.

En 1928, une petite parcelle vers Rame, entre la route de Freissinières et celle de Rame, donc en dessous de la route des Traverses, fut plantée au lieu-dit Combal Rouge. Au printemps les gens qui étaient libres, de Freissinières et de la Roche, travaillaient ensembles. Beaucoup de jeunes étaient « descendus » à Marseille pour se placer et ceux qui restaient au pays étaient contents « de se faire un peu d’argent ». Ils commençaient fin février de 7 heures et demi à 17 heures. « Nous étions jeunes et cela ne nous pesait pas ». Chacun, chacune partait avec sa petite pelle, son repas de midi et sa poignée d’arbres à planter. De 17 à 70 ans ils travaillaient ensembles. Les femmes se souviennent encore de grandes « rigolades » ! Tous étaient payés à l’heure et les jeunes donnaient l’argent à leurs parents. Certaines se rappellent les grosses chaussures que le cordonnier Atrop avaient fait pour travailler et non pour aller danser ! D’autres évoquent aujourd’hui la robe et les chaussures qu’elles avaient achetées à Briançon.

En 1930 ce fut la plus grosse plantation. Les mélèzes étaient repiqués tout en haut de la côte. Les hommes piochaient et les femmes plantaient les jeunes plants. On travaillait en équipe : une personne passait devant et creusait les trous, c’était l’équipe des hommes. Une deuxième équipe posait les plants dans les trous et une troisième équipe de femmes comme la deuxième, damait la terre avec une écuelle « Dama dama ferme » disaient les hommes ! Ce fut une année pluvieuse et tous les plants prirent. Monsieur Poilevé, garde des Eaux et Forêts, surveillait en permanence. Il ne fallait pas arracher les plants de lavande qui tenaient la terre. Des buissons de cytises et d’épophaé devaient jouer le même rôle. Ce dernier est un pyracanta sauvage aux boules oranges qui éclatent sous les doigts en automne et qu’on appelle à la Roche la « pétafouïre ». Ils plantèrent jusqu’à la Tailla, gros rocher qui se trouve au bas de la côte vers le plan Léauthaud.

Les années suivantes on replantait là où les plants n’avaient pas pris. De toute façon, on finissait pour la Saint Marc (25 avril), jour de foire à Saint Crépin où on dansait. On plantait aussi en automne pendant un mois à peu près. Il faisait froid certains jours. Ces travaux de plantation durèrent de 1928 à 1935, se poursuivant jusqu’en 1971, par des regarnis ou réfections parfois importantes. Ces journées étaient différentes des journées d’affouages et des journées de digues, puisqu’elles étaient payées par les Eaux et Forêts.

Les annonces concernant ces journées étaient publiées à la sortie de la messe. En effet la vie religieuse rythmait faits et gestes du village. On entendait alors le garde champêtre Joseph Robert, debout sur les marches de l’escalier de la mairie (anciennement devant l’église actuelle) crier : Dilun : bial d’Escrose, Dimar : bial de Serre Duc, Dimercre : bial de Guière et d’ajouter quelquefois « le persécuteur vindré dijeun » (le percepteur viendra jeudi).

Même le père Palluel le dimanche à la messe « J’ai oublié de vous dire que l’engrais est arrivé à la gare. Ceux qui en ont commandé, sont priés d’aller le chercher demain matin. » Et en septembre octobre c’était «  le raisin est arrivé. ».

On dit aujourd’hui à la Roche de Rame, que cette végétation, qui recouvre les Traverses, a rabaissé de un à deux degrés la température de l’air ambiant du village. Mais en observant les photographies de la côte dénudée d’antan, on peut, aujourd’hui apprécier que celle-ci soit devenue une forêt.

Sources : Archives ONF, Archives Départementales, Habitants du village.

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