Un enterrement à la Roche - de - Rame dans les années 1940
Par Colette Duc avec l'aide de tous.
C'était un matin de novembre 2003 et nous devions, notre prêtre et moi-même, ranger son garage.
Des vêtements noirs peu défraîchis, enfouis dans le corbillard démonté, nous interpelèrent …ce fut le début de la recherche qui va suivre.
Le moribond
Le prêtre, en surplis, sa barrette noire sur la tête, portait, dans un petit flacon, l'onction des malades, huile consacrée par l'Evêque au cours de la messe chrismale, du Jeudi Saint. Avec cette huile, symbole de la force, il traçait une croix, sur les parties du corps correspondant aux cinq sens, tout en récitant les prières du sacrement de l'Extrême-onction, aujourd'hui appelé Sacrement des Malades. Il portait aussi le viatique, hostie mise dans la custode, pour administrer au mourant la dernière communion. Les deux servants de messe qui accompagnaient le prêtre, avaient aussi revêtu le surplis noir et blanc. L'un portait la croix de procession et l'autre agitait la clochette pour signaler le passage du prêtre. Sur le chemin, les personnes se signaient ou, par respect, se découvraient.
Selon que l'on avait l'esprit religieux ou pas, on disait du moribond qu'on lui "apportait le Bon Dieu" ou qu'on venait lui "cirer les bottes", pour le grand passage.
Le mort
Le corps encore chaud, on l'habillait de ses habits du dimanche, costume et cravate noire, chemise blanche ; on lui joignait les mains sur la poitrine avec un chapelet lacé entre les doigts.
Sur la table de nuit du défunt on posait deux bougies, un crucifix, une assiette d'eau bénite avec un rameau de laurier, celui qui avait été béni pendant l'office du dimanche des Rameaux.
On fermait tous les volets pour indiquer qu'il y avait un mort dans la maison. Les miroirs étaient recouverts d'un linge.
La veillée funèbre
Le mort ne devait jamais rester seul. Il fallait le veiller. La famille et les voisins se relayaient. On disait bien quelques chapelets mais le temps était long, alors on évoquait la vie du défunt et c'était parfois la rigolade ! L'un évoqua que gamin, lors d'une ballade en montagne, le défunt l'avait porté et l'enfant lui avait "pissé" dans le cou !
Les femmes remontaient le réveil pour prendre la relève. Chacun avait son heure, la parenté pouvait se reposer. On buvait du café pour se tenir réveillé. La cafetière restait toute la nuit sur le feu. Les hommes buvaient du vin.
Dans la journée, on allait bénir le mort, bien que n'étant pas de la famille et habitant parfois assez loin de la maison du défunt. Aujourd'hui cette sympathie se manifeste par quelques mots sur le cahier de condoléances.
Les faire-part
Il n'y avait pas de pompes funèbres et la presse quotidienne peu divulguée, on ne pouvait se payer le journal chaque jour, le décès était annoncé dans les heures suivantes par les cloches qui sonnaient le glas. L'intervalle entre les coups du marteau de la petite cloche n'étaient pas les mêmes pour tous : trois coups réguliers et un intervalle pour les hommes, deux coups réguliers et un intervalle pour les femmes, tandis que pour les enfants, les petites cloches sonnaient en carillon. Le glas se sonnait matin midi et soir.
On se rappelle des derniers sonneurs, le père Philip qui habitait la maison à côté de la bibliothèque actuelle et Frédéric Duc époux de Mélanie Girard qui habitait en face de la bibliothèque. Le sonneur recevait de la mairie une indemnité. Les habitants hors du secteur, qui n'entendaient pas les cloches, étaient avertis par le garde champêtre. Eloi Robert et Camille Combal de la Fare ont rempli cette mission, passant dans les maisons, annonçant le décès et l'heure de l'enterrement. Quelques uns se rappellent avoir entendu Eloi, au retour, chanter "toutes les femmes, moi je les aime" !
La famille décidait, avec le curé, du jour de l'enterrement, toujours l'après-midi, dimanches et fériés compris.
Bien avant 1940, lors des grandes épidémies, comme la peste et le choléra, naquit la nécessité d'enterrer les morts, la Confrérie des Pénitents s’en chargea. Apparus en Bas Limousin à l'extrême fin du XVI éme siècle, les Pénitents peuvent être rattachés, par certains côtés, aux compagnies de flagellants médiévaux. Les devoirs de charité et de dévotion de leurs membres consistaient à assurer certains offices dans une chapelle qui leur était propre, à soulager les malades, à ensevelir les morts, mais surtout à organiser des processions lors des grandes fêtes religieuses. Nul n'était membre en raison de ses fonctions, de ses titres ou de son âge mais seulement de son adhésion volontaire. Les femmes en étaient exclues.
Un des éléments caractéristiques des Pénitents était le port de l'habit, du " sac" dont la couleur définissait la confrérie et lui donnait son nom. Les confréries disposaient en outre d'une véritable organisation interne ayant à leur tête des officiers, un trésorier, un secrétaire, et possédaient des statuts ou des règlements et des finances propres. Supprimées pendant la Révolution, certaines furent rétablies sous l'Empire mais eurent du mal à survivre sous la troisième République.
Par une ordonnance royale de 1782, il fut interdit d'enterrer les corps à l'intérieur des églises.
Mais avant cette date, Joseph QUEYRAS né en 1704 et mort le 17 mars 1720 à l'âge de 15 ans, pulmonique, "mal qui affecte les poumons", (tuberculeux), a été enterré dans la nef de l'église de la Roche tandis qu'un de ses oncles Queyras, curé de Molines, a été enseveli dans le choeur. Donc à l'endroit où il se trouvait de son vivant.
Arduin Jean châtelain et notaire est décédé à l'âge de 82 ans le 19 juin 1719. Il a été inhumé dans l'église de la Roche. Il fut notaire au village de 1666 à 1682.
Le jour de l'enterrement
Le cercueil est fait par le menuisier du village, en planche de pin, de mélèze ou de peuplier. A la Roche on le commandait à monsieur Chiorino de l'Argentière. La mise en bière faite, le cercueil est placé sur deux tréteaux et les voisins le posent sur le corbillard municipal hippomobile qui attend depuis quelques minutes devant la porte du défunt. On fait glisser le cercueil dans le coffre prévu à cet effet et on ferme les portes de ce coffre. Celui-ci est peint en noir. Des crochets servent à suspendre les couronnes en perles que la famille a achetées. Aux quatre coins du corbillard, des pompons noirs. Un drap en velours noir bordé d'un galon argenté recouvre le coffre et donne à l'ensemble, un aspect sévère. Le cheval, quant à lui, a des oeillères noires, un bonnet noir troué à l'emplacement de ses oreilles et un drap de velours épais et noir recouvre son dos.
Eugène Queyras père d'Adolphe, fut cocher. L'Etat, par l'armée, recensait les chevaux, comme les véhicules, tous les deux ans. En 1940, bien qu'ayant dépassé l'âge de la réquisition due à la guerre, le cheval du père d'Adolphe fut réquisitionné par l'armée. C'est ainsi qu'André Fourrat, dont le cheval n'avait pas été réquisitionné, devint cocher du corbillard, car le cheval appartenait au cocher. Il fallait un cheval docile comme le "Moi-Aussi" d'Eugène Queyras ou "Pompon" cheval noir d'André. La commune payait ses cochers.
L'attelage mortuaire était alors prêt. Haut sur pattes, il repartait en cahotant et quittait les hameaux de Prareboul, de Géro, des Gilly, du Bathéou ou du Serre et d'autres encore, et, selon le parcours, empruntait les chemins du village ou la route nationale, suivi par le cortège de la famille et des amis.
Compte rendu du Conseil Municipal du 19 janvier 1952
" Mr le Maire fait connaître au Conseil Municipal que l'ornement funèbre pour le cheval du corbillard étant en mauvais état, il y aurait lieu de le remplacer, qu'il s'est renseigné du prix d'un tel article et qu'il faudrait une somme de 5.380 f pour posséder un article similaire.
Le Conseil Municipal après avoir délibéré, décide à l'unanimité l'achat de l'ornement funèbre pour le cheval du corbillard autorise Mr le Maire à acheter cet article, vote la somme de 5.380 f à prendre sur les dépenses imprévues du budget 1952.".
L'office religieux
Au moins trois classes d'office étaient proposées à la famille du défunt qui choisissait selon sa notoriété et ses ressources. Les chandeliers du maître autel au nombre de six, trois de chaque côté, entourant le tabernacle, étaient recouverts d'une tenture noire avec à son centre une croix blanche. Sur l'autel une nappe noire.
Les anciens de la Roche se rappellent encore de l'enterrement de Victor Fourrat. Il était le parrain de la cloche qui, fêlée en sonnant le tocsin lors de la déclaration de guerre, le 8 août 1914, fut refondue en 1928. En signe de deuil, on entoura cette cloche d'un crêpe noir. De plus, la messe de Requiem fut célébrée par quatre prêtres.
Quelque fois le chagrin était si grand qu'un enterrement de grande classe apportait un peu de consolation à la famille. Ce fut le cas d'un homme de Géro mort jeune d'une méningite en 1928. La pénicilline sera découverte par Fleming en 1928 et introduite en thérapeutique en 1941. Cette découverte sauvera des vies.
Le prêtre assistait à l'inhumation et récitait devant le cercueil le De Profondis. Ensuite, la famille se plaçait à l'entrée du cimetière, les hommes à droite, les femmes à gauche, pour recevoir les condoléances. Les hommes portaient au bras gauche, un brassard noir. En 1930, les femmes portaient le chapeau avec un voile ou voilette. Les veuves portaient le voile long qui tombait sur leur dos. Puis la famille se retrouvait dans la maison du défunt, et parfois on parlait affaires.
Les corps des suicidés ne rentraient pas à l'église. Les enfants morts avant d'avoir reçu le sacrement du baptême, étaient inhumés dans un carré, qui leur était réservé, situé en face de la grande croix dans le cimetière actuel.
Lorsqu'un enfant ou un adolescent décédait, on n'utilisait pas le corbillard, les parents portaient l'enfant jusqu'à l'église. Le cercueil n'était pas fermé, seul un drap recouvrait le corps. Ces souvenirs restent aujourd'hui encore difficiles pour les personnes qui ont accompagné le corps.
La "neuvaine"
Pendant neuf jours la famille se rendait à l'église chaque matin pour assister à une messe pour le défunt.
Pendant un an c'était "le grand deuil", les femmes ne s'habillaient qu'en noir. Venait ensuite le demi-deuil aux couleurs violettes et blanches.
C'est entre 1953 et 1960, lors du premier mandat de maire Elie Abeil, que fut acheté par la municipalité, un véhicule tout terrain de marque Unimog. Il prit la relève du corbillard hippomobile qui termina alors sa longue carrière, marquant ainsi la fin d'une époque de plusieurs siècles.
En ce qui concerne la Roche, notre corbillard hippomobile, faisant partie intégrale de notre patrimoine, la municipalité a décidé de le conserver.
Depuis près de vingt ans, une personne de l’ouest de la France, se qualifiant lui-même de philicorbolien, se passionne pour les corbillards hippomobiles, intérêt qui lui est apparu le jour où, voulant acheter une calèche, il fit l'acquisition d'un de ces véhicules pour la modique somme de 50 francs. Le bruit se répandit dans tout le Sud-Ouest de la France qu'un joyeux amateur s'intéressait enfin à ces moyens de transports peu ordinaires. Affluèrent, alors, de toutes les régions des corbillards offerts par les communes, trop heureuses de pouvoir céder ces voitures condamnées au bois de chauffe.
A l'heure actuelle, plus de 70 corbillards qui se répartissent entre le XVIIIe et le XXe siècles reposent à l'ombre de notre généreux mécène.
Sources : La société d'étude de Saint Jean de Boisseau et les anciens de La Roche
Quelques notes en plus
Au XVIII° et jusqu'au milieu du XIX° le mort n'est pas toujours revêtu de ses habits de noce mais mis nu dans le linceul. Celui-ci est cousu. A Molines on fabrique expressément des chemises en toile à cet effet.
Si c'était un membre de la confrérie des Pénitents, on l'habillait, blouse noire et cordon blanc, ou bien ce costume se posait sur le linceul. Le mort était mis en terre sans caisse.
On ne lave pas tant que le défunt est dans la maison.
On ferme les volets, on voile les miroirs et objets brillants.
On met le deuil aux ruches, un bâton planté avec un crêpe.
Puis habillage avec de beaux habits et chapelets et crucifix et livre de messe.
Grosse cloche pour les hommes, petite cloche pour les femmes.
A la veillée personnes du même sexe que le défunt.
Le costume de deuil pour le cortège funéraire est à peu près partout conforme à la mode des villes diffusé par les prospectus des maisons de deuil et catalogues des grands magasins.
Voile noir des femmes sur leur tête.
On remplace le tulle de la coiffe par une bande de tissu en baptiste pour les parents éloignés.
Cortège : en tête parents mâles puis les autres hommes, ensuite les femmes.
Le crêpe sera un morceau d'étoffe noire donné par la famille.
En 1255, les citoyens excommuniés étaient placés sur des arbres et non en terre.
Au XVIII° on jetait le cadavre au fond de la fosse. Le préfet Ladoucette fit cesser cette coutume.
Quand la neige et les gelées empêchent de creuser la terre, on met le cercueil dans le grenier ou sur le toit ou bien dans la grange ou dans une chapelle.
A la sortie de l'église, distribution de vivres aux pauvres de la paroisse ou du sel matière rare jusqu'au milieu du XIX°.
La dounno comprend aussi de la soupe et du pain.
Le repas funèbre se compose d'une soupe d'orge ou de riz pour parents et porteurs et celui qui a cousu le linceul du mort et libations à la santé du pauvre mort.