Quelques noms de hameaux

Extrait du livre de Pierre Chouvet « Noms de lieux du Pays Guillestrin ».

Certains lieux décrits dans cet ouvrage présentent des caractères communs à ceux du Guillestrois.

Ainsi :

ALPET

Haut pâturage au-dessus de la forêt, avec une idée de richesse, de luxuriance, de prospérité, d'utilisation extensive, un cortège d'eaux et de fleurs, l'opposant aux chalps, pâturages maigres, secs et pelés, et aux près exploités, arrosés et fauchés.

Alpes et Alpet ont donné leur nom au massif et Raoul Blanchard explique que le peuplement, à la fin de l'ère glaciaire, a probablement commencé par là, saisonnier d'abord, puis stable, pour l'exploitation de ce pâturage riche et protégé. Le mot « montagne » est utilisé comme équivalent : chaque communauté a sa montagne, le pâturage étant la partie utile du relief.

LES BOURGEAS

La Bourgea : petit bourg, hameau.

Bourg : apparu en 1080 du germanique Burg : fortifié. Les hameaux comportaient-ils une tour ou une petite enceinte au XI° siècle ? La Bourgea de la Roche dit Pierre Chouvet est particulière parce que située très haut, donc ne pouvait surveiller la Durance, comme les Bourgeas de St Crépin ou de l'Argentière. Deux réponses possibles : soit elle contrôlait le passage par Néal (Queyras), soit elle était à côté du gisement de fer de Bigorne et en profitait de ce dernier.

Le nom Bourgea vient du mot château fort en allemand. Son implantation daterait des Burgondes, peuple germanique d'origine scandinave qui, après avoir été envahi, se déplaça vers l'est de la Gaule, région rhodanienne et Savoie. Nous sommes entre 476 et 520, à la fin de l'Empire romain.

M. Louis Gondre dans la revue de la Société d'Etudes des Hautes-Alpes explique : « Les burgondes, peuple fédéré, furent associés à l'Empire. Celui-ci lui concéda un territoire immense, la 1° Bourgogne. La dernière  extension négociée se fit en 476, jusqu'à la rive droite de la Durance, de la crête des Alpes en Avignon. »

Un auteur nous dit : « Vers 470, ils sont en Lyonnais, en Vivarais et jusqu'à la rive droite de la Durance. » Un autre confirme : « Vers 480, ils occupent toutes les Hautes-Alpes. »

Les historiens commentent leur installation : Les Burgondes n'installent pas une population dense, mais de petits groupes représentant environ un dixième de la population locale. Un comte siège à Gap, une garnison à Embrun (476). Ils réclament le bénéfice de la moitié des grandes propriétés. Ils sont très libéraux et tolérants. La population galloromaine les accueille bien, les pressions fiscales et règlementaires s'allègent. Leur mise en place comporte l'aménagement de postes de défense et de surveillance le long de la Durance. Leur village s'implante le long de la voie romaine. Il se compose de petits groupes à moitié militaire et familial à des endroits où ils peuvent exercer une surveillance. Aucun autre peuple germain ne s'installe jamais dans cette région.

Ecoutons Pierre Chouvet dans le Pays Guillestrin : « La fin de l'Empire Romain (476) fut suivie d'inondations torrentielles entraînant érosions et dépôts d'alluvions et les désastres naturels se succèdent, ce qui explique l'installation de ce hameau assez loin de la vallée. Rame ne fut-il pas enseveli une première fois vers 500 ? La vallée marquait la frontière : les postes témoignaient de la présence d'une autorité et gardaient les passages. La  surveillance de la voie a dû être un élément majeur. Depuis 5 siècles, un trafic important s'écoulait. L'effondrement de l'Empire n'a pas éteint l'activité. La voie durera 5 à 6 siècles encore, même au prix de déviations. En ce IV° siècle, le trafic commercial longue distance est réduit mais l'activité économique locale ou régionale persiste. On voyage : sénateurs, nobles gaulois, marchands, grands propriétaires ; la christianisation a lancé des multitudes sur les routes vers Rome ou Jérusalem. Cette voie est un fleuve d'abondance et nous savons que les  Burgondes étaient avisés : leur réussite économique était ici en cause. Les inondations ont dû compliquer le trafic des chariots que tiraient les vaches ou les boeufs.

Comment construisaient-ils ? Probablement avec les galets et les ciments locaux (chaux), assortis de superstructures en charpente : les Romains pratiquaient ainsi et les Burgondes arrivaient avec une forte réputation de charpentiers. On imagine une maison de galets et une tour en bois.

Les hameaux que nous connaissons naquirent de ces postes et les perpétuèrent ; la plupart ont maintenant disparu. Bien entendu, chacun était voisin d'une source, ce qui n'est pas historique mais nécessaire. Plus tard, les Saxons, les Hongrois, les Sarrasins, répandront la terreur sans laisser de trace autre que des images de peur et de misère. Aucun d'eux n'a marqué ce pays comme les Burgondes. Les Francs l'emportèrent à long terme mais n'habitèrent pas le pays. La cohérence autour des Bourgeas se confirme... ».

Sur le cadastre de 1840 au lieu dit « Les Bourgeas » situé sur le hameau d'estive du Lauzet, la parcelle numéro 323 indique l'emplacement d'un four à chaux, noté « en ruine » à l'époque indiquée. Cette parcelle 323 est communale. Les parcelles situées tout près (320, 321, 325, 324), sont des propriétés privées notées « mazure » ou « pâture ». A droite de ce hameau et vers le nord on trouve le ravin des Bourgeas et l'endroit nommé Bigorne qui vient du mot enclûme et qui pourrait attester d'un gisement de fer traité sur place.

Une autre preuve de l'installation là-haut de ce petit peuplement germanique en 450, c'est l'appellation du ravin des Ardouïs situé après Bigorne : « ard », d'origine germanique : fort, menaçant. Limité par ce ravin, se trouve le hameau des Maurelles. Le cadastre de 1840 y porte mention de neuf « Bâtiments ruraux » dont un est précisé grenier à foin. Ces constructions appartenaient à Queyras Jean du Serre pour deux, Bonnaffé Etienne des Gillys pour trois, Duc Alexis du Serre pour un, Jean Joseph Bleinc du Serre pour un, Duc Pierre du Serre pour un, Poullilian Jean Baptiste meunier du Serre pour un. Quelques autres parcelles sont intitulées pâture et d'autres  labour.

D'autre part, Nathalie Pogneaux, historienne à l'Argentière, pense que sur la butte qui s'élève derrière le hameau de la Fare, était « la motte » sorte de château fort en bois, entouré d'une barrière en bois. Il accueillait les  habitants du hameau lors d'invasions barbares. Actuellement, en hiver, la neige souligne un chemin qui y accède.

L'ABBAYE

Dans cette zone, pourrait y avoir eu un refuge de pèlerins installé par l'Ordre du saint Sépulcre, qui fonctionnait avant les croisades (900 ou 1000) de Jérusalem. L'Ordre avait les moyens financiers pour cela. Ce refuge est souvent inscrit comme étant sur L'Argentière. Le nom de Pierre Levée ou Pierre Sainte, du rocher proche, fut peut-être donné en souvenir de la pierre qui fermait le tombeau du Christ, dit Pierre Chouvet. Cette abbaye ou refuge de pèlerins se trouvait beaucoup plus loin que la maison actuellement au bord de la route, car cet endroit était inondable. L'abbaye ou refuge, se trouverait plus vraisemblablement au lieu dit les Essuches, près de la maison de l'ONF actuelle.

Il est difficile pour nous, gens du XXI° d'intégrer ces notions d'occupation si anciennes de notre village ! Mais la recherche des uns et des autres fait, qu'en nous promenant, notre lecture du paysage s'enrichira.