« Le blé originaire du Croissant Fertile, (7000 avant Jésus Christ) s’est répandu en Europe vers –5000 et en France vers –4500 d’Est en Ouest. Le blé devait avoir entre autre une tige courte et solide, résistante au froid et à « la verse » et de gros épis contenant de nombreux grains à forte valeur boulangère. Mais ce blé idéal, qui représentait toutes les qualités, n’existe pas, d’où le rôle des variétés. »
« C'est vers le VIII° siècle et parce que se tarissaient les sources habituelles de l’esclavage et des corvées agricoles , que le travail « aux pièces », est apparu. Les grands propriétaires exerçaient un droit général de commandement qu’on qualifiera de ban.
Sur les manants et les artisans, dont le nombre s’accroît, le maître a « jurisdictio ». La juridictio étant le synonyme de ban. Les petits propriétaires n’y échappent pas ni même les hommes des communautés religieuses que la vieille immunité aurait dû protéger. Services et redevances sont désignés par le terme de coutumes et, comme le châtelain n’hésite pas à en imposer de nouveaux, l’on parle pour ceux-ci de mauvaises coutumes, d’exactions.
C’est en vertu du droit du ban que le seigneur impose aux sujets de la seigneurie l’obligation d’utiliser de façon exclusive le four, le moulin, le pressoir que lui-même a édifiés. De toute manière, le droit de ban est une source de profits pour le seigneur, soit directement, comme dans le cas des banalités (de four, de pressoir, de moulin), soit indirectement en raison des amendes qui sanctionnent toute désobéissance au ban.
Ce sont les banalités proprement dites qui étaient les plus lucratives : tôt ou tard, la mentalité collective y vit l’une des pires exactions jusqu’en 1789.
Moulins de toutes sortes, fours, pressoirs, se multiplièrent : le seigneur fut toujours le seul à avoir la possibilité financière de les faire édifier, surtout en ce qui concerne les moulins à eau, et il était, plus que jamais, décidé à faire lourdement payer ce seul « luxe des campagnes ».
Les édifices « banniers » furent de si bon rapport que les détenteurs du ban n’hésitaient pas à faire détruire les moulins concurrents. En règle générale, donc, les habitants de la seigneurie banale étaient tenus de faire moudre leurs grains, cuire leur pain, presser leurs grappes à l’édifice banal : l’étendue du ressort de chaque moulin, par exemple, et qu’on nommait la banlieue, était fixée en gros à la distance qu’un âne chargé de grains pouvait parcourir jusqu’à lui en une demi-journée.
Lorsque les seigneurs commencèrent à concéder des franchises, l’un des privilèges obtenus fut de pouvoir faire moudre au moulin, cuire au four le plus proche du domicile.
Pour la banalité du four, la taxe était aux alentours du vingtième (1/20 de ce qui était cuit). Plus faciles à construire, à camoufler, les fours particuliers, « illégitimes », permettaient d’échapper à la banalité tant que les agents du seigneur ne les avaient pas découverts, puis fait détruire. Les banalités se sont en général maintenues jusqu’à la Révolution de 1789 ».
Source : Histoire de la France rurale de Georges Duby
Comme sa chapelle, sa fontaine et parfois son moulin, chaque hameau de la Roche possédait son four.
A Pra-Reboul il était à la place de la fontaine actuelle. La famille Combal, qui habitait au-dessus était appelée:
« Combal suou four ». Il reste le trou par lequel on enfournait le pain ! Celui-ci est bouché par une pierre.
Les fours de Coutin et du Bathéoud étaient à l’emplacement de ceux qui y sont actuellement.
Le four du Serre était sur le chemin qui va du Serre au torrent, dans le champ qui forme un triangle. Les pierres de ce four étaient irrégulières, et le pain sortait bosselé ! Mais qu’il était bon ! disent les anciens.
A Géro, le four était sur la place du hameau. Il fut démoli le 17 mars 1938. A la Fare, il était contre la maison Combal. Celui ci a été remplacé lorsque la famille Combal a donné un morceau de son jardin.
Quant au four du Mas des Queyras, nous possédons son acte de naissance le sept avril mille huit cent quatre vingt dix.
Le four des Bruns,servait aux habitants des hameaux du Billy, des Gilly, et des Bruns comme le confirment les archives ci-dessous :
« Convenu entre les soussignés, habitants des hameaux du mas des Bruns, des Billy et du mas des Gilly qui reconnaissent que la réparation du petit four banal, commun aux trois hameaux est nécessaire, il a été fait et convenu ce qui suit :
1° Chaque habitant sera tenu de faire les journées pour le transport des matériaux de toute nature ou pour autre travail ayant pour but direct la réparation du four. Chaque habitant s’engage en outre à payer en argent le montant du coût de la main d’œuvre, comme celui de toutes les fournitures nécessaires.
2° Chacun sera tenu de se conformer aux usages anciens où rien n’est changé pour le mode de la cuisson.
3° La direction et la surveillance des travaux sont données à MMs Mathieu Félix et Hermitte François. Ils devront tenir un compte fidèle de toutes les dépenses. Ce compte sera présenté à l’expiration des travaux aux sociétaires pour être vérifié et soldé, après qu’il aura été reconnu par la majorité absolue des sociétaires. Celui qui ne se conformerait pas en tout au présent perdrait ses droits au dit four.
Ainsi dit et fait à La Roche-de-Rame en autant d’expéditions qu’il y a d’intéressés, le dix sept juillet mille huit cent quatre vingt onze. »
Ce document est suivi des signatures de : Hermitte François- Bonnaffé Jean- Alexis Albrand- Arduin Etienne- Albrand Joseph- Albrand P- Gilly Joseph- Matthieu- Albrand- Abeil Ferdinand- Albrand Etienne-
Le four « fut oublié » après la première guerre mondiale et reprit du service entre 1940 et 1944.
Endommagé, il sera restauré en 2000 et l’inauguration de cette restauration eut lieu 8 juin 2003.
Vers 1852 à 1881, la consommation de froment par habitant augmente. Elle résulte plus d’une amélioration qualitative de la nourriture que d’une augmentation de la ration journalière de pain, car dans les campagnes la consommation de seigle est en net recul. Le Père Pascallon curé de La Roche écrit en 1848 : « C’est bien rarement que le froment ne réussit pas dans les plaines de la Roche, grâce à l’activité persévérante des habitants ».
Les usages anciens dont parle le document ci-dessus sont évoqués par les anciens du village :
« Pendant la bonne saison, on faisait cuire notre pain tous les 20 jours au four banal du hameau. A l’arrivée de la mauvaise saison on faisait les cuites c’est à dire la fabrication de notre pain pour trois mois. A partir du deuxième mois, le pain était si dur qu’il fallait un taille pain spécial pour en venir à bout. Les personnes âgées le trempaient dans le vin pour le manger. Dans ma commune il n’y avait que les enfants des rares fonctionnaires ou ouvriers qui mangeaient du pain du boulanger local et personnellement, je les enviais ».
Extrait du journal de Joseph Duc né en 1900.
Chez Giraud, le meunier de l’Argentière, on faisait moudre le seigle et le froment. Lui-même mélangeait les deux céréales. Ce mélange donnait un pain bis. Le meunier prenait la précaution de garder la farine première, la fleur, avec laquelle nous faisions des beignets.
Pour la préparation du pain, voici les témoignages recueillis :
Dans un toupin en terre, le poëlon, on gardait du levain de la cuisson précédente. Ce levain était dur. On le trempait dans de l’eau chaude et on le délayait pour obtenir un pâte molle qui sentait l’aigre. C’était parfois la même famille qui gardait le levain, à Géro c’était Elise Pascal, mais souvent c’était la dernière famille qui avait cuit qui en était dépositaire. Pétrir ce levain mélangé à la farine était le travail des hommes bien que quelques femmes se rappellent l’avoir fait. Plusieurs fois malaxée, cette pâte lourde envoyée d’un côté à l’autre du pétrin, devait reposer et seulement après un certain temps qui permettait à la pâte de lever, on formait des boules que l’on posait dans un paillasson sur le fond duquel on mettait une toile. Le paillasson est un panier large et sans anse, fait avec de la paille de seigle. Certains étaient faits avec de l’osier. Quand on n’utilisait avait pas de paillasson, on posait les boules sur une longue planche recouverte d’un peu de son. Chaque homme portait sur l’épaule la planche sur laquelle les pains étaient alignés, et arrivés au four, il posait ces planches sur des barres en bois horizontales. Le pain était donc préparé à la maison. La pâte était tournée à bras.
La famille qui cuisait, devait allumer le four la veille. Chacun donnait deux ou trois bûches. Les familles qui cuisaient ensuite ne faisaient que réchauffer le four pour leur fournée. La température du four était atteinte lorsque l’intérieur était blanc. On testait la chaleur en approchant la joue de l’entrée du four ou en jetant du son sur la sole qui, s’il s’enflammait, montrait que le four était trop chaud. Avant d’enfourner, on enlevait les cendres, on balayait le four et on passait un chiffon humide au bout d’un bâton. Une vingtaine de minutes après, les pains, qu’on avait changé une fois de place en cours de cuisson, sortaient gonflés et dorés laissant deviner la croix tracée sur le dessus. A la belle saison on cuisait une fois par mois mais à l’automne on cuisait pour tout l’hiver. Les pains cuits étaient posés verticalement sur un cadre de bois à la chambre ménagère. On achetait un pain blanc une fois par an lorsqu’on tuait le cochon. Ce pain servait à épaissir le bouillon du pot au feu.
Les fournées de pain terminées, on cuisait les tourtes de choux et de pommes de terre et à l’automne en plus, des tourtes aux pommes ou aux poires. Les parents faisaient des bonhommes en pâte pour les enfants :
« Ramasse bien les espies, quand fasen puis lou pan te fasen puis uno rigondello ou uno appetteto ».
« Ramasse bien les épis, quand on cuira le pain, on te fera une pépette ou une rigondelle ».
La pépette était une poupée dont les yeux, le nez et la bouche étaient des haricots, et la rigondelle était une couronne plutôt destinée aux garçons. Rien n’était perdu! A la récréation, il arrivait que nous troquions notre tranche de pain bis pour un petit morceau de pain blanc !
Fazy de Rame, dans son journal, écrit de 1471 à 1507, note une différence entre le pain de maison et le pain de pâtissier.
Voici en effet, le menu de Mardi-Gras qu’il note en 1502, le 8 février :
7 gros pains de maison 3 gros pain de pâtissier
Y avait-il des boulangers en 1502, en dehors des fours banaux?
Dans le village, à la « maison rose », le père de Félicie Chabas était boulanger. C’était en 1884 et on construisait la ligne de Chemin de Fer Marseille- Briançon. Il y avait beaucoup d’ouvriers, il fallait beaucoup de pains. Le four devint alors trop petit et Monsieur Chabas construisit un nouveau four. Les gens ne payaient pas tout de suite, le client avait son carnet et le commerçant son livre. On pouvait aussi troquer son grain contre du pain à la boulangerie.
Enfin certaines familles, peut-être plus riches que les autres, possédaient un four soit dans la remise, soit dans une pièce de la maison. Par exemple la maison Queyras au mas des Queyras, la maison Achard au Goudeyron, la maison Massieye et Albrand à la Frairie, les maisons Fournier et Combal à la Fare et certainement d’autres encore.
Après 1945, les fours ne furent plus utilisés.
Tous les fours du village constituent un patrimoine vivant. La restauration du four des Bruns s’inscrit dans une page d’histoire locale. Il rassemblera à nouveau les habitants de ces hameaux et autour d’un pain bien cuit et odorant, les anciens pourront conter aux jeunes générations « le bon temps d’autrefois ».
La semaine du douze mai 2002 a vu en France la fête du pain. Steven L. Kaplan professeur d’histoire européenne à l’université Cornell écrit dans le journal Le Monde daté du seize mai 2002 : « La fête du pain nous invite à réfléchir sur le poids énorme de cet aliment dans l’expérience française. L’insécurité n’était pas moins l’obsession des Français ordinaires hier qu’elle ne l’est aujourd’hui. Mais jusqu’au milieu du XIX° siècle, sinon au-delà, il s’agissait non de la micro-violence quotidienne, mais de la cherté chronique du pain dans une structure de pénurie et de la peur d’en manquer.
Cristallisant tous les sentiments d’insécurité, le pain était la ration de survie des pauvres gens, qui tiraient de lui le gros de leurs calories, l’espérance du salut à travers le corps du Christ et l’ultime source de la légitimité du pouvoir. Chaque fois que l’insécurité devenait insupportable, engendrant une grave crise de subsistance, le peuple se tournait vers le Prince nourricier et l’Etat. Quand des milliers de femmes marchaient sur Versailles en pleine disette le 5 octobre 1789, c’était pour ramener à Paris Louis XVI et sa femme : le boulanger, la boulangère et le petit mitron.
Les Français ne sont plus tenus par le pain, mais ils y tiennent toujours. Ils ne sont plus tenus par les cordes de la nécessité mais par les cordes de l’imagination. Ils en mangent infiniment moins qu’avant, mais ils ont du mal à concevoir un vrai repas sans pain. La mémoire du pain, des bons et des mauvais jours, est inscrite dans leur mémoire collective comme les incisions gravées dans le pain par le boulanger juste avant la cuisson pour lui assurer un bel aspect.
Ce que l’on entend à propos du pain : Une personne sans malice est bonne comme du pain. Au moment des élections on promet plus de beurre que de pain. Une campagne ennuyeuse est longue comme un jour sans pain. Pain coupé n’a pas de maître. Craindre de manger son pain blanc en premier. D’un achat fait pour plus tard : ça ne mange pas de pain ».
Colette Duc avec l’aide de tous.