Marius Paulet, cet enfant de la Roche-de-Rame, expédié à Belfort dès le début du mois d'août 1914, est amené à combattre sur la crête des Vosges avant d'être fait prisonnier le 1er septembre et de passer toute la suite de la guerre captif dans la région d'Ulm. Jusqu'en septembre 1915 il a noté sur un carnet, presque au jour le jour, tout ce qui lui paraissait digne de mémoire.

            Ce qui frappe dans ces notations c'est leur sobriété. Il note, comme si c'était chose banale, que des camardes, fauchés par des balles ou des éclats d'obus, tombent morts ou gravement blessés à ses côtés, puis passe à autre chose, principalement les petits faits de la vie matérielle : la fatigue de la marche, la pluie qui transperce, la boue, le froid ou le chaud, comment il faut coucher sur des planches n'importe où, se lever sur ordre à n'importe quelle heure et surtout avoir faim, manger irrégulièrement, avec de brèves réjouissances quand il y a du café, quand on distribue du tabac. Prisonnier, lui et ses camarades subissent de fréquentes brimades, par exemple on les prive de nourriture au prétexte que c'est la faute des Britanniques bloquant le ravitaillement par leur blocus. Dans le fort où ils sont détenus près du Danube, on les fait travailler. Mais de ce travail il ne dit rien. Ce qu'il mentionne de façon méticuleuse ce sont les lettres, les mandats, parfois les colis reçus de tel ou tel membre de sa famille, les moments de maladie, les décès d'hommes à bout de force (alors on se cotise pour payer une couronne) et de rares événements : tel camarade emmené pour interrogatoire car soupçonné d'espionnage, quelques évasions réussies à l'aide d'une corde descendue le long de l'enceinte, une fois par un tunnel patiemment et difficilement creusé dans la terre humide. Et puis il faut tuer le temps ; alors on joue et rejoue aux cartes...

            L'intérêt de ce témoignage est dans son humilité même ; Pendant les semaines de guerre, Marius Paulet ne sait rien de la stratégie que des chefs, absents, mettent en oeuvre. Il ne parle que de ce que lui et ses camarades voient et font. Quelques centaines de mètres devant eux, ils voient d'autres hommes : des Français ? des Allemands ? Ils ne savent pas, ils envoient l'un d'eux pour observer... Brusquement, on leur tire dessus, ils s'écrasent dans un fossé ou contre un talus. Un lieutenant tombe et plus personne ne commande. Les hommes errent. Un jour, Marius Paulet se retrouve seul et, il ne sait comment, s'agrège à une compagnie qui n'est pas la sienne. Parfois on avance un peu, le lendemain une brusque canonnade fait reculer Cette guerre dans les bois et les prés des Vosges telle qu'il nous la montre n'est que désordre, improvisations, hasards. Ce récit à raz du sol fait saisir de la façon la plus concrète une certaine réalité de la guerre.

            Trop terre à terre, dira-t-on. Marius Paulet ne s'étale guère sur ses sentiments (sauf l'horreur au spectacle d'un charnier brusquement découvert) et n'a pas un mot de réflexion sur la guerre dans son ensemble : Est-elle juste ? Ne l'est-elle pas ? A-t-on des chances de gagner ? Faut-il compter sur les Russes ? Est-ce que ce sera court ? Long ? On dirait qu'il ne pense pas. A mon avis, c'est faux. Il est de ces taiseux si nombreux, probablement le gros des soldats de ce temps, qui ont peu écrit, peu parlé parce que ce n'était pas dans leurs habitudes, mais ils ont tout supporté et la victoire est largement leur fait.

 

Jean-Claude Widmann

Ce livre est vendu au prix de 8€ à la mairie de la Roche-de-Rame et au 04 92 20 90 59